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Inversion de la charge : de quoi on parle ?

Inversion de la charge : de quoi on parle ? - Seni'Stuff

Il y a dans nos sociétés modernes une étrange habitude : celle de demander à ceux qui subissent l’injustice de la prouver. Comme si, pour être écouté, il fallait d’abord convaincre qu’on mérite d'être écouté. Cette habitude a un nom : l’inversion de la charge. Elle façonne la manière dont on perçoit les minorités, les croyances, les corps et les identités.

Dans un ordre juste, c’est celui qui conteste un droit de justifier pourquoi il veut le restreindre. Mais dans notre société actuelle, c’est souvent l’inverse : celui qui exerce ce droit doit se justifier sans cesse. Il doit expliquer, rassurer, prouver, recommencer. à la fin, ce n’est plus un dialogue, c’est une audition. Par exemple : tu veux interdire à une femme de porter tel vêtement → c’est à toi d’expliquer pourquoi tu prives cette femme d’un droit, et non à elle d'expliquer pourquoi elle veut le porter ! 

Comment s'est installé se renversement ? 

Sur les plateaux télé, par exemple, les “débats” autour du voile, de la foi ou de la différence ne partent jamais d’un principe de droit, mais d’un doute. On ne demande pas : "pourquoi iles institution interdissent le voile ?" ; on demande : "pourquoi portez-vous le voile ?" et cette simple inversion des rôles change tout. Elle place d’emblée la victime en position d’accusée, comme si sa liberté devait se justifier.

Et sur les réseaux sociaux, c’est l’indignation qui prend le pouvoir. Ceux qui subissent doivent se montrer exemplaires, pédagogues, patients : toujours calmes, toujours doux, sous peine d’être accusé d’agressivité. A force, beaucoup se fatiguent, ils se taisent, lassé de se répéter sans cesse, de donner des explications alors que ça n'a pas lieu d'être. Ce qui devient dangereux :  le silence est aussitôt interprété comme une absence de voix.

Ce renversement a un coût immense.

Quand on passe son temps à se défendre, on finit par ne plus exister que par le regard de l’autre. Quand on doit toujours “expliquer”, on s’épuise à traduire ce qui, pour soi, est simplement naturel.

Cela crée une lassitude profonde, une forme d’épuisement collectif. On s’autocensure, on évite certains espaces, certaines conversations, certains lieux. À la longue, on finit par croire que notre parole n’a plus sa place. Et c’est ainsi qu’une société glisse lentement vers le déséquilibre : quand seuls les plus bruyants parlent, et que les autres se retirent pour préserver leur paix.

les femmes musulmanes au cœur de ce mécanisme

Parmi toutes les catégories de personnes touchées par ce phénomène, les femmes musulmanes voilées en france en sont probablement l’exemple le plus criant.
Elles sont rarement invitées pour parler de leur métier, de leur art ou de leurs idées : on les convoque pour parler du voile. Comme si leur vie entière se réduisait au voile, comme si leur individualité devait sans cesse s’expliquer à travers lui.

Elles doivent prouver qu’elles ont choisi librement, prouver qu’elles ne sont pas soumises, prouver qu’elles “représentent bien” leur religion. Et si elles refusent de se plier à ce jeu, leur silence devient suspect. C’est une boucle sans fin : parler, c’est confirmer le soupçon ; se taire, c’est le valider.

 

L’inversion de la charge, ce n’est pas une théorie abstraite : c’est une réalité vécue, chaque fois qu’on te demande de t’expliquer pour ce que tu es.

Mais la réponse n’est pas dans la colère ni dans le silence : elle est dans la constance. Parler quand il faut, se taire quand c’est inutile, créer quand c’est nécessaire. Refuser le chaos, mais refuser aussi la peur.


parce qu’entre les deux, il y a un espace précieux : celui de la dignité.